n général, je la voyais pour la première fois par une belle soirée de la fin de l’été. Elle se tenait à quelque distance, dans le flamboiement du couchant, se tenant les mains, un peu gênée.
Elle finissait par s’approcher et m’adressait sa prière : « C’est la Jeanne qui m’a parlé de toi… S’il te plaît, fais que Jacques me demande en mariage. Je sais que c’est lui que je veux. C’est l’homme qu’il me faut. »
Elle repartait bien vite, un peu honteuse, sentant le regard plein de reproche des Dominicaines dans sa nuque.
Parfois, au mois de mai de l’année suivante, je voyais une farandole arriver de la ville. En tête, c’était elle, tout de blanc vêtue, un diadème de fleurs dans les cheveux. La farandole tournait autour de moi, puis repartait vers la ville. Sans s’arrêter, elle me frôlait de sa main et m’adressait une prière de reconnaissance. Je savais alors qu’elle avait épousé son Jacques.
Un mois après, à la pleine lune, elle revenait, accompagnée par deux amies jeunes mariées comme elle. Elle était plus directe, cette fois. Parfois, elle allumait un cierge volé à St-Laurent et le fixait sur mon dos avec un peu de cire. Elle commençait alors par me remercier une nouvelle fois, mais bien vite, elle en venait à ce qui lui importait : « S’il te plaît, donne-nous un enfant. Qu’il vienne avant la fin de l’année, qu’il soit nourri de notre passion. »
Après un moment de silence, les 3 femmes repartaient, bras dessus, bras dessous, se racontant des histoires de jeunes épousées.
Après quelques pas, elle se retournait encore et me disait : « J’ai parlé de toi à une amie. Son fiancé ne veut pas se décider. Je pense qu’elle viendra bientôt te voir ! »
Malheur à la civilisation qui noie aujourd’hui une pierre de cette qualité dans les vapeurs méphitiques d’une usine d’épuration des eaux !