L’Ange du Paysage

C‘est un vallon boisé au pied du Jura. Un petit chemin mène à une source située au pied d’un coteau escarpé jonché de troncs rompus. Cette source, caractéristique du piémont du Jura, est vauclusienne. Certains jours, la source est tarie et le silence règne. Tout est immobile. Seules restent alors de nombreuses pierres rondes couvertes de mousse flétrie, ménageant entre elles un labyrinthe de terre noire.

D’autres jours, la source est active et l’atmosphère en est transformée. C’est un torrent qui surgit du bas de la pente. L’eau apparaît soudain dans l’espace ménagé entre les pierres et roule à grand fracas sur toute la largeur du lit. La mousse reprend alors vie, d’un vert presque phosphorescent. Un courant d’air frais accompagne le cours d’eau, élevant le niveau d’énergie du lieu. De nombreuses petites sources secondaires apparaissent ici et là : un filet d’eau s’écoule alors d’une mince déchirure du sol pour rejoindre le lit principal un peu plus bas. De petits êtres aux formes peu marquées sautent sur les pierres moussues, en un ballet incompréhensible. Une fée, debout sur un rocher en forme d’œuf, semble diriger ce mouvement avec toute son attention.

Mais, pour voir vraiment ce qu’il y a à voir ici, il faut lever les yeux et élargir sa capacité à ressentir l’invisible. C’est une présence d’une toute autre envergure qui emplit là-haut l’espace au-dessus de la source. Sa taille dépasse la futaie et son attention porte bien plus loin que ce vallon. Sa pose est simple, mais empreinte d’autorité. Cet être était là bien avant que l’homme ne s’installe dans ces parages, il remplit certainement une fonction à une échelle régionale. C’est un ange du paysage.

Il est difficile de savoir précisément quel est son rôle, mais si, comme lui, nous portons notre regard sur cette région depuis un point élevé, on remarque alors ceci :

Le paysage est formé de terres agricoles et de forêts, de marais et de villages. La pression exercée par l’homme y est moins forte que plus à l’Est ou au bord du lac, plus au Sud. La terre y est plus légère et le modelé du paysage exprime une douceur particulière. On peut facilement en dessiner les limites : au Nord, un soubassement géologique différent, à l’Est, une rivière, au Sud, le coteau finissant au lac, à l’Ouest, une autre rivière reliant le lac aux pentes boisées du Jura. On sent bien l’unité de cet espace et on peut imaginer qu’un être invisible, comme un point de conscience planant au-dessus de ce paysage, aurait pour tâche de se porter garant de l’identité de ce lieu au travers des millénaires.

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