‘homme a soulevé la lourde tenture et fait un pas à l’intérieur. L’obscurité est retombée sur ses talons. Lorsque ses yeux se furent habitués à la pénombre, il les a vues: Elles sont toutes là, certaines immobiles, assises ou accroupies, d’autres engagées dans un lent mouvement de danse. Un voile cache leur visage. L’homme est resté dans l’ombre, fasciné, muet.
On entend le bruit monotone de gouttes qui tombent dans un bassin derrière d’autres tentures. Sortent-elles du bain ? Parfois, l’une s’approche de sa compagne, lui chuchote quelques mots d’une langue inconnue, puis le silence retombe. Pensez-vous qu’elles n’ont pas vu l’intrus ? Ne vous y trompez pas ! Remarquez leur pose un peu apprêtée qui évoque une mise en scène. Il n’y a pas de doute: elles savent qu’il est là – elles attendaient même sa venue de toute éternité.
Que faire alors ? Malheur à celui qui, dévoré par la curiosité, soulèverait le voile qui cache leur face: elles n’ont pas de visage ! Malheur aussi à celui qui chercherait à les suivre dans le dédale de leurs appartements: il s’y perdrait. Mais bien plus malheureux encore celui qui n’aurait jamais soulevé la tenture et ne les aurait pas connues !
Aussi, si tes pas t’ont amené ici, sois avisé: approche-toi de l’une d’elles avec assurance, mais respect. Choisis peut-être celle-ci qui est déjà en mouvement. Pose délicatement ta main sur sa hanche et entre dans son rythme. Laisse-la tout d’abord te conduire et, lorsque tu auras compris son pas, prends doucement l’initiative. Ses compagnes s’approchent en silence et vous entourent. Vois le vertige qui te gagne, mais conserve suffisamment de conscience. Amène insensiblement ta cavalière jusqu’à la tenture et entraîne-la alors au dehors, en pleine lumière, brisant ainsi le sortilège.

Texte inspiré par des oeuvres de Jacques Walther, peintre (1998).